En une décennie, le nombre de centenaires adoublé à Singapour. Le petit État d’Asie du Sud-Est, connu pour sa rigueuréconomique, est en passe de devenir la première "zone bleue" urbaine
de la planète.
Comment cette cité ultramoderne a-t-elle réussi ce tour de forcedémographique et sanitaire ?
En misant sur la prévention, l’environnement et le
lien social.
Une progression fulgurante
Selon les données publiées par les autorités sanitaires singapouriennes, le pays comptait environ 700 centenaires en 2013. En 2023, ils étaient plus de 1 500.
Cette augmentation spectaculaire ne relève pas du hasard : elle est le fruit d’une stratégie cohérente et volontariste, déployée sur plusieurs fronts.
Le concept de “zone bleue”, désignant ces régions du monde où les habitants vivent de manière exceptionnelle au-delà de 100 ans (notamment Okinawa, Nicoya ou encore Ikaria), semblait jusqu’ici l’apanage de territoires ruraux au mode de vie ancestral. Singapour prouve qu’il est possible d’atteindre une longévité similaire dans un contexte urbain, dense et moderne.
“Ce n’est pas une affaire de génétique, mais de choix collectifs intelligents”, résume le médecin français Frédéric Lange, auteur de Reset : santé, beauté, vitalité “. Singapour montre que la longévité peut être bâtie, structurée, anticipée.
Prévenir plutôt que guérir
Au cœur de cette réussite : un système de santé publique tourné vers la prévention. Dès l’école primaire, les enfants sont éduqués aux bases de l’alimentation saine, de l’activité physique et de l’hygiène mentale. L’objectif est clair : inculquer de bons réflexes le plus tôt possible.
Cette philosophie s’étend au monde du travail. Les entreprises sont encouragées à promouvoir le bien-être au sein de leurs équipes, via des politiques de gestion du stress, des pauses actives ou des options alimentaires bien choisies dans les cantines.
Le ministère de la Santé a également investi dans de vastes campagnes de communication, relayées dans les transports, les médias, les écoles, afin de sensibiliser la population à la prévention des maladies
chroniques. Une approche systémique, qui fait aujourd’hui ses preuves.
L'alimentation, enjeu de santé publique
L’alimentation constitue l’un des leviers majeurs de cette transformation. Depuis plusieurs années, le gouvernement singapourien a multiplié les mesures pour encadrer l’offre alimentaire et orienter les
comportements :
Réduction imposée du taux de sucre dans les boissons sucrées industrielles
- Étiquetage nutritionnel obligatoire, lisible et compréhensible
- Incitations à consommer des produits locaux et végétaux
- Les résultats sont visibles : la consommation defast-food diminue, tandis que les habitudes alimentaires s’orientent vers davantage de légumes, de fruits, et de recettes issues de traditions locales plus naturelles.
Une ville pensée pour la santé
Contrairement à de nombreuses métropoles, Singapour a intégré la notion de bien-être dans sa planification urbaine. L’architecture de la ville favorise l’activité physique quotidienne et le contact avec la nature.
Les autorités ont multiplié les parcs, couloirs verts, pistes cyclables et sentiers de marche. Les transports en commun —rapides, propres, climatisés — permettent de limiter l’usage de la voiture et donc la pollution, tout en réduisant le stress des déplacements.
“La ville ne doit pas être un lieu qui épuise, mais un écosystème qui soutient la vitalité de ses habitants”, déclarait récemment un urbaniste du Land Transport Authority, l’agence publique en charge
de l’aménagement.
Vieillir sans s’isoler
Autre particularité : la place centrale accordée aux personnes âgées dans la société. À Singapour, de nombreuses familles vivent en foyers multigénérationnels. Ce modèle, loin d’être archaïque, favorise le
lien social, l’entraide, et la transmission.
Les aînés sont encouragés à rester actifs le plus longtemps possible. Des programmes communautaires permettent aux retraités de participer à des activités physiques, culturelles ou bénévoles. Les soins
médicaux restent accessibles et de qualité, même en fin de vie. Cette approche intégrée rompt avec l’image d’un vieillissement synonyme d’isolement ou de dépendance.
À Singapour, vieillir est considéré comme une étape à accompagner, non à redouter.
Une source d’inspiration mondiale ?
Alors que de nombreux pays industrialisés s’inquiètent du vieillissement de leur population, Singapour propose une alternative : anticiper, investir dans la prévention, et construire un environnement propice à la vitalité.
Ce modèle est-il transposable ailleurs ? “En partie, oui”, estiment les experts. Si le contexte politique et culturel diffère, les grands principes — alimentation saine, activité physique régulière, lien social fort, urbanisme durable — peuvent inspirer des réformes dans de nombreuses villes du monde.
Et après ?
Reste une question centrale : comment chacun, à son échelle, peut-il s’inspirer de cette démarche ? Les spécialistes insistent : il ne s’agit pas de copier Singapour à la lettre, mais de repenser notre rapport au quotidien.
Adopter une meilleure hygiène de vie ne commence pas par des révolutions, mais par des gestes simples : marcher 30 minutes par jour, cuisiner davantage, se reconnecter aux autres, apprendre à ralentir.
La longévité n’est peut-être plus un mystère.Elle est devenue un choix de société — et une responsabilité individuelle.